Page:Doff - Jours de famine et de détresse, 1943.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veiller. Que faire ? on ne pouvait pas le porter. Nous le mîmes dans le berceau, où il dormit toute la nuit. S’il s’était réveillé, il serait mort de peur de se trouver seul, enfermé dans ce couloir ; mais il ne se réveilla pas.

Ma mère nous conduisit à un logement pour pêcheurs. Dans une grande chambre à cinq lits, trois nous étaient réservés : un lit pour père et mère avec le bébé, le deuxième pour les quatre garçons, et le dernier pour les quatre filles.

Ma mère descendit un instant. Pendant son absence, entra un homme qui devait occuper un des autres lits. Il me sembla vieux ; je devinais quelqu’un pas de notre monde : quoique en guenilles, il avait l’air d’un monsieur. Il s’arrêta interdit, nous regarda tous, puis vint à moi, me mit la main sur les cheveux, les caressa, me renversa la tête, et me regardant minutieusement :

— Hé ! hé ! dans quelques années ! dans quelques années !

Je ne m’étais pas trompée : c’était un monsieur. Il prononçait les mots tels qu’ils étaient écrits dans les livres que j’avais lus : j’avais remarqué que les gens riches parlent comme dans les livres.

— Quel âge as-tu ?