Page:Doff - Jours de famine et de détresse, 1943.djvu/91

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jamais je ne m’étais trouvée dans pareil lit : on enfonçait là-dedans. Il y avait des taies et des draps à petits carreaux rouges et blancs très propres, et, au milieu, un creux exquis dans lequel je roulai. C’était du vrai capoque pour le moins, et pas de la balle d’avoine réduite en poussière, comme chez nous. Tous les enfants étaient si agréablement surpris, qu’un moment ce furent des rires trillés et des pépiements, comme dans une volière en ébat. Le pêcheur jura. Ma mère nous fit taire, en mettant ses deux mains sur sa bouche. Puis entrèrent mon père et ma sœur aînée : ils se mirent au lit et exprimèrent leur satisfaction d’être aussi bien couchés.

De temps à autre, un des enfants devait faire pipi, ou le bébé criait. Alors le pêcheur grognait et jurait. À la fin, mon père, furieux, se leva et, en pans volants, au milieu de la chambre, l’invita à se mesurer avec lui ; mais l’homme ne bougea pas. Le vieux monsieur disait :

— Allons, camarade, couchez-vous ; du calme : vous avez de beaux enfants.

— Oui, j’ai de beaux enfants. Voulez-vous les nourrir ? C’est une calamité ! Mais qu’y faire ? il faut bien les prendre quand ils viennent.