Page:Doin - Le conscrit ou le Retour de Crimée, 1878.djvu/20

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boum !… vlà qu’ça chauffe… les balles sifflent… aie ! aie !… j’en attrape une… j’ai la jambe démolie… vite à l’ambulance… Vlà l’docteur major, avec tous ses diables de couteaux… allons, garçon… du courage… faut s’débarasser de c’te jambe-là !… Bon !…marche, Criquet… r’tourne au village, va danser une gigue avec ta jambe de bois… Non… non, j’en suis pas, j’aime ben mieux boire, manger, dormir et r’commencer comme ça tous les jours de la semaine que d’me voir dans c’t’engeance de soldat militaire !… Non, non, c’est pas mon fort d’être brave… ah ! à présent, vlà parrain, j’peux ben vous dire ça, j’suis son seul héritier du côté de ma marraine qu’était sa femme légitime et qu’était aussi ma tante du côté d’mon oncle Berluchat qu’était aussi mon parent du côté… mais ça s’rait trop long si j’vous parlais de toute ma parenté… c’est une lignée qui a pus d’bout… tant il y a que j’sis l’seul héritier majeur d’mon parrain… Eh ben, si v’nait à vouloir se r’poser y m’passerait tout son bien ! ah ! dame, c’est qu’il en a du bien, mon parrain… faut que j’fasse la réputation de tout… voyons… primô… y a la terre d’la mare aux biches… qui vaut ben ?… oh ! oui… deuzo, y a aussi la terre de la guernoullère, oh ! ben, celle-là, alle vaut… toujours… oh ! oui… à présent : troissio, y a la maison, l’verger, la vigne et la pataugère !… Eh ben, tout ça… tout l’bien d’mon parrain, y vaut… y vaut… oh ! mais… y vaut ben plus que ça, l’bien d’mon parrain !… Tiens, j’patauge toujours à vous parler et j’ai promis à parrain d’aller l’trouver, faut pas l’tromper, c’pauvre cher homme !… Allons, me vlà donc libre !… me vlà donc débarrassé… me vlà heureux ! (Il ôte sa tuque) Ah ! grand brigand d’numéro ! m’en as-tu donné du tintoin ?… hein ?… grand scélérat !… m’en as-tu fait avoir des éclaboussures d’estomac, des poumons !…m’en as-tu fait jeter d’ces pleurs !… hein ? grand renégat !… grand polichinelle ! Sans c’pauvr’Julien, tu m’faisais aller en Carmée !… Hein ?… Hein ?… aussi, tiens !… j’te foule aux pieds !… j’te déchire… j’te dévisage… j’te pulvérise… j’te foule sous mes sabots, et puis, j’vas chanter pour me moquer d’toi, pour te dire je m’fiche de toi comme des Russes qui n’auront pas ma peau !… Entends-tu ? vieux numéro d’malheur !…