Page:Dollier de Casson - Histoire du Montréal, 1640-1672, 1871.djvu/12

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dépenses pour avoir les denrées, outils et marchandises nécessaires à un établissement de la conséquence de celui-ci ; enfin ils n’épargnèrent rien pour réussir en leur dessein, mais au reste ils avaient besoin d’une chose qu’ils ne pouvaient trouver et que leur bourse ne leur pouvait fournir, c’était une fille ou une femme de vertu assez héroïque et de résolution assez mâle pour venir dans ce pays prendre le soin de toutes ses denrées et marchandises nécessaires à la subsistance de ce monde et pour servir en même temps d’hospitalière aux malades ou blessés ; que si leur argent ne la leur peut octroyer la providence qui les avait assisté jusque-là et qui depuis l’an 1640, les employait fortement à cet ouvrage, avait pris le soin de disposer à leur insu la personne dont ils avaient besoin, l’amenant à point nommé du fond de la Champagne en ce lieu de leur embarquement dans le temps qu’ils s’aperçurent de la grande nécessité qu’ils avaient et de l’impossibilité de la trouver, chose qui est considérable et qui mérite trop d’avoir son récit en cette histoire pour ne pas la rapporter tout au long, commençant par les premiers mouvements de la vocation que ressent cette bonne fille dont est question dans la ville de Langres en l’an 1640, environ la mi-avril par le moyen d’un chanoine de ce lieu là, lequel parlant de la Nouvelle-France avec beaucoup de zèle louer extrêmement Notre Seigneur de ce qu’il s’y voulait maintenant faire servir par l’un et l’autre sexe, ajoutant que depuis peu, une personne de qualité, Mme de la Pelleterie, y avait mené des Ursulines que Mme Deguillon[1] y avait fondé des Hospitalières et qu’enfin il y avait bien des apparences que Dieu y voulait être particulièrement honoré. Ce furent ces paroles qui donnèrent la première impression de ce que ressentit jamais Mlle Manse en faveur de ce pays, c’est le nom de cette fille que la moitié de l’univers avait choisi pour venir travailler dans cette nouvelle vigne ; à mesure qu’elle entendait ce discours, son cœur se laissait tellement surprendre par les mouvements les plus secrets et les plus forts de la grâce qu’ils la ravirent à lui-même entièrement et la fit venir malgré lui en Canada par ses désirs et par ses vues ; lors toute ettonée de se voir en cet état, elle voulut réfléchir sur la faiblesse de sa complexion, sur ses maladies passées, enfin elle se voulut munir de plusieurs raisons pour s’exempter d’obéir à ses divins attraits ; mais tant plus elle retardait, plus elle était inquiétée par la crainte de l’infidélité à ces mouvements célestes. Son pays natal lui était une prison, son cœur était sur des épines, que si elle les voulait découvrir à son

  1. Marie Magdeleine de Wignerod ou de Vignerot, duchesse d’Aiguillon, elle avait été marié à Antoine de Beauvon du Rouvres de Combarlet, dont elle n’eut point d’enfants ; elle était nièce du Cardinal de Richelieu.