Page:Dollier de Casson - Histoire du Montréal, 1640-1672, 1871.djvu/15

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Après ces paroles elles se séparèrent ; mais cela ne se fit pas sans peine ; surtout à l’égard de cette bonne dame, laquelle avait bien du déplaisir de ne pouvoir pas donner au Canada son corps aussi bien que sa bourse, afin d’y venir prendre part aux premiers hommages qui ont ôté rendu au premier souverain de l’univers. Notre demoiselle ayant quitté madame de Bullion, elle voulut partir le jour suivant pour Paris pour s’embarquer, ses parents voyant que c’était sa résolution, souhaitèrent que ce fut en Normandie afin de la pouvoir accompagner jusque sur les bords de l’océan, mais elle tout au contraire, pour sacrifier et rompre au plus tôt les liens de la chair et du sang, voulut que ce fut à Larochelle, où d’ailleurs elle savait qu’il y avait des prêtres, lesquels passaient en Canada et qu’ainsi elle aurait la messe pendant le voyage ; ce fut là les deux motifs dont Dieu se servit pour faire venir Mlle Mance à ce port afin de l’y faire associer à la compagnie du Montréal par MM. de Fouquant et de la Doversière qui y étaient, ce qui n’eut arrivé si elle eut été par Dieppe comme ses parents le désiraient : cette résolution étant prise, elle partit et surmontant par son courage les fatigues d’un voyage qui d’ailleurs eut été à un corps tel que le sien était alors ; elle arriva au lieu tant désiré de son embarquement où la Providence lui assigna un logis tout proche des Jésuites sans savoir où elle allait ; ce qui lui donna un moyen d’aller saluer aussitôt le feu père Laplace qu’elle avait vu à Paris et qu’elle savait devoir passer la même année dans la Nouvelle-France ; ce père qui la connaissait fut très-heureux de la voir et même il le lui témoigna en lui disant qu’il avait bien eu peur qu’elle n’arriva pas avant le départ des navires. Après ce commencement d’entretien, il lui dit que Dieu faisait de merveilleux préparatifs pour le Canada en ajoutant : « Voyez-vous ce Gentilhomme qui m’a quitté afin que j’eusse la liberté de vous parler ? Il a donné vingt mille livres cette année pour une entreprise qui regarde ce pays-là ; il s’appelle le baron de Fouquand ; il est associé à plusieurs personnes de qualité, lesquelles font de grandes dépenses pour un établissement qu’il veut former dans l’Isle de Montréal qui est en Canada. » Lui ayant fait part de toutes ces bonnes nouvelles, après quelques discours, il lui demanda où elle logeait, et sachant que c’était chez une Huguenotte il la fit mettre ailleurs, non pas qu’elle le demandait, car en ce lieu-là sur la route et partout généralement, Dieu disposait tellement le monde à son égard qu’elle était bien reçue en tous lieux, même à peine voulait-on de son argent, après l’avoir bien traitée, quand elle sortait des hôtelleries, il est vrai qu’il était bien juste que Dieu qui est le maître de tout le monde lui donna la grâce de gagner les cœurs d’un chacun pour la récompense de ce que faible