Page:Dorat - Œuvres diverses, Neuchatel, 1775.djvu/55

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Le public, occupé de ces grands intérêts,
Veut de l’illusion, et non pas des attraits.
Pour graver ces tableaux dans le fond de notre ame,
À de sombres dehors joignez un cœur de flame.
Des masques, avec art adaptés aux discours,
La tragédie antique empruntoit le secours.
Dans un rôle emporté, l’acteur, d’après l’usage,
D’un masque furibond surchargeoit son visage.
Un masque larmoyant, lorsqu’il falloit des pleurs,
Exprimoit et l’amour, et ses tendres douleurs.
De chaque rôle au moins on conservoit l’idée ;
On ne confondoit plus Andromaque et Médée.
Heureux ou malheureux, rois, sujets, et tyrans,
S’offroient sous un aspect et des traits différens ;
Achille paroissoit enflammé de colere,
Diomede fougueux, Nestor calme et sévere ;
Et ces masques frappans et caractérisés
Valoient bien nos minois, toujours symmétrisés,
Où chaque sentiment devient une grimace,
Dont l’uniformité, dont la froideur me glace ;
Et qui, sur le théatre une fois réunis,
Ont tous les mêmes traits sous le même vernis.
Juges plus délicats, spectateurs moins commodes,
Chassons loin de nos yeux ces tragiques pagodes,
Qui, marchant par ressorts, et toujours se guindant,
Soupirent avec art, pleurent en minaudant.