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Page:Dorchain - L’Art des vers, 1921.djvu/22

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Et ici, instinctivement, le poète a employé des mots où trois syllabes de suite sont formées avec la lettre u, celle qu’il est impossible de chanter sur une note haute et forte, celle qu’on ne peut prononcer autrement que les lèvres serrées, et sans presque donner de son !

Semblaient Interroger dans un confus murmure
   Les flots des mers, les feux du ciel.

Essayez un peu d’allonger ce dernier vers pour le mettre à la mesure des autres, par exemple, de dire :

Les flots profonds des mers, les feux légers du ciel.

Ô surprise ! il semble qu’en y ajoutant ces épithètes, au lieu de l’allonger, vous l’ayez raccourci ! Il est plus long par la durée, il est plus petit pour l’imagination, pour la pensée ; car il n’éveille plus, disjoint ainsi par des mots parasites, aucune idée de grandeur. Tel qu’il était, au contraire, concentré, réduit aux quatre substantifs parallèles qui sont l’armature de la strophe, voyez comme il boucle cette strophe en rattachant le dernier vers au premier, et comme il la conclut en la concentrant !

Mais nous en sommes déjà à la moitié du poème ; et le sujet n’en est qu’à son exposition ; et le poète n’a plus que six vers pour le conduire à son terme, quand il y faudrait, pourrait-on croire, plusieurs strophes encore. Nullement. Six vers suffiront. Voyez : le poète n’a pas laissé retomber le mouvement initial ; il a bien mis un point à la fin de la première strophe ; mais voici qu’il repart avec cette conjonction et, conjonction qui enchaîne la seconde strophe à la première, et qui, en deçà même du point final de celle-ci, va rejoindre le vers où, déjà, elle se trouvait trois fois,

Et les bois, et les monts, et toute la nature,