Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/10

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Les soldats écoutent à peine, donnent des renseignements vagues et pénètrent sans se hâter dans le bastion dont la porte se referme.

— Ils ne peuvent pas savoir ce que nous donnerions pour avoir leur capote et leur képi, me dit mon voisin, un myope à la barbe éplorée qui regarde timidement par-dessus son binocle, comme si ses yeux s’ennuyaient derrière leurs verres. Depuis lundi, je fais la queue huit heures par jour.

— Moi aussi. Je crois que nous ferions mieux d’aller à la Place.

— Pas la peine, nous dit un camarade, ils n’en savent pas plus qu’ici. J’y suis allé, on m’a envoyé à La Tour-Maubourg. De La Tour-Maubourg, on m’a renvoyé boulevard Suchet… C’est partout le même truc : ils ne savent pas.

— Oui, c’est étonnant ce qu’il faut faire de démarches pour avoir le droit d’aller se faire casser la gueule.

— Hier, j’ai pu me faufiler dans les bureaux, on m’a demandé si je savais faire du pain ; il paraît qu’à Lyon ils manquent de boulangers. J’ai dit que non, bien sûr, alors on m’a foutu dehors en me disant d’attendre.

— D’attendre quoi ?

— On ne sait pas… Il paraît qu’ils ont trop d’hommes.

Plusieurs, fatigués de piétiner, sont allés s’étendre sur l’herbe et dorment, leur casquette sur la figure.

Un arsouille en chandail gris, grimpé sur un tertre, sonne des airs de caserne dans son poing