Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/114

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— Excusez-moi, fourrier, protesta le nouveau, plein de courtoisie, mais je vous assure que…

— Ça va bien, je me fous de tes bobards, braillait le cabot qu’on ne pouvait plus arrêter. T’as pris ma gueule pour un plat de cerises, ça n’a rien à faire. Tu dis poète, eh bien, je vais le mettre sur ton livret, tu n’auras à t’en prendre qu’à toi…

Et convaincu d’avoir trouvé la bonne vengeance, il alla porter la mention infamante sur le livret de Jean de Crécy-Gonzalve.

La réputation de poète n’est pas une excellente chose dans une compagnie d’infanterie, mieux vaudrait être instituteur, chanteur de café-concert ou coureur cycliste, mais poète, comme le lui avait franchement dit Lousteau, « ça la foutait mal ». Néanmoins il réussit à se faire des amis ; il composa des acrostiches pour le cuisinier, les sergents, les filles du pays — qui lisaient leur nom en bout de ligne avec des yeux écarquillés — et l’on commença à le regarder avec un certain épatement, comme on contemple un prestidigitateur capable de sortir des pigeons vivants d’un chapeau haut de forme ou trente petits drapeaux d’un œuf dur.

La première entrevue que Jean de Crécy-Gonzalve eut avec l’ennemi le navra. Il arriva dans la tranchée sous une pluie battante, et, au lever du jour, l’artillerie allemande se mit à marteler les lignes, arrachant la marne par larges copeaux blancs. Dans un coin bouleversé, des blessés se traînaient en geignant. Jean de Crécy-Gonzalve, accroupi le derrière dans la boue, re-