Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/135

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

faisait des frites dans un couvercle de bouteillon, et je me sentais déjà la bouche humide…

— Vous êtes-t-y prêts ? cria-t-il de sa cuisine.

Comme réponse, une sourde explosion gronda, pas bien loin, dans les bois. Puis quelques coups de feu, des aboiements de grenades… Et avant qu’on ait rien compris, ce fut un brusque orage de bataille, un barrage acharné, un crépitement de fusillade, tout cela éclaté d’un seul coup, comme une poudrerie saute.

Jean de Crécy-Gonzalve s’était sauvé de son baquet, tout nu, ruisselant, ses chaussures à la main. Lousteau surgit du gourbi, barbouillé de suie, en corps de chemise.

— Mon flingue… Où qu’est mon flingue ? braillait-il.

On courait sans savoir. Tout de suite au créneau, le caporal criait : « On ne voit rien… »

En effet, devant nous, entre les bois français et boches, la plaine restait nue. Mais des shrapnells crevaient au-dessus de nous, les billes grêlant dans les branches, et de gros noirs essoufflés dépassaient le bois, allant crever sur nos deuxièmes lignes. On se questionnait :

— Qu’est-ce que c’est ?

— Les Boches qui attaquent.

— Où ?

— On ne sait pas…

On aperçut le capitaine, courant dans la direction du bruit. Déjà, un appel passait, d’escouade à escouade.

— Les brancardiers… Faites passer… Il est tombé un obus dans le boyau…