Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/53

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nous avait pas prévenues, me dit-elle… On ne savait pas qui que vous étiez…

Sans songer encore à les mystifier, je pris pourtant un air de convenance, la tête une idée penchée sur l’épaule gauche, et j’enfonçai mes mains dans les manches trop courtes de ma capote, comme j’eusse fait avec une soutane.

— Le brave garçon est parti dans le pays pour essayer de me trouver un coin où je puisse prendre mes repas en paix et me recueillir, leur dis-je avec une grande onction… Les nécessités de la guerre sont rarement compatibles avec les obligations de mon ministère, n’est-ce pas.

Et j’eus, pour conclure, un sourire indulgent. La grosse repasseuse se désolait.

— Oh ! quel dommage qu’on n’ait pas su, monsieur le curé…

Puis, avisant une dégoûtante morveuse qui se cachait craintivement dans une encoignure.

— Tenez, v’là ma fille, me dit-elle fièrement… C’est ma première… Le père est au front… Elle a commencé son catéchisme juste c’t’ année… Allons, Céline, n’aie pas peur, grosse bête… Viens voir monsieur le curé…

La gosse s’avança, le nez baissé, traînant bruyamment sur le carreau de lourdes galoches. Je pris un sourire bienveillant, un peu céleste, comme aurait eu un artiste de cinéma ayant à jouer saint François, et je tapotai les joues criblées de son de la gamine.

— N’ayez pas peur, mon enfant, regardez-moi… Vous connaissez bien votre catéchisme ? Voyons qu’est-ce que Dieu ?