Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/60

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tout bonnement raser, il voulut encore tergiverser et demanda au coiffeur de lui « rafraîchir » les cheveux.

Le lendemain, à la revue, quand il retira son képi et montra sa raie faite à neuf, il eut son petit succès d’estime, mais cela lui coûta quatre jours de plus, avec l’ordre formel du capitaine Tarasse de se faire tondre avant le rapport. Lousteau retourna donc chez le perruquier, toujours pris entre son intention d’obéir et le désir de nous épater, et s’étant livré aux ciseaux du tondeur, il lui demanda d’en laisser « juste de quoi se peigner ». C’était encore trop : Tarasse porta une troisième punition avec un de ces motifs qui vous brisent à jamais une carrière de caporal.

Alors, la rage au ventre, Lousteau prit un rasoir et, s’étant savonné, il se rasa la tête comme on se fait la barbe. Toute la compagnie défila pour admirer ce crâne insolite, aussi lisse qu’une boule de billard.

— Vous n’avez rien vu, les gars, hurlait Lousteau par-dessus la haie de la cambuse qui servait de prison. Ceux qu’ont cru que je débarquais par le dernier train de pommes, je vais leur montrer qu’ils se sont gourrés. Attendez ce tantôt, on va rire !

L’après-midi, le général visitait le cantonnement. Comme il traversait la place à cheval, suivi de quelques officiers, il aperçut dans l’enclos de la prison, tout près de la porte, une chose étonnante, qui avait germé là : c’était le crâne indécent de Lousteau, frais et rose comme