ongles courts sur ses genoux de velours usé. Va-t-il enfin ouvrir les yeux, me regarder en face ?
Non. Peu à peu, sa respiration s’allonge, se fait régulière. Il s’est endormi… Alors, tout mon échafaudage de soupçons s’abat d’un coup et, comme ses mains tremblent toujours, frémissantes de fièvre, je voudrais le réveiller, honteux d’avoir été mentalement cruel, et lui parler comme autrefois, gaiement, en camarade.
Pourquoi me suis-je mis dans l’idée qu’il avait peur de passer près de la grange où les hardes des morts sont entassées ? L’autre jour, comme il était arrêté devant, je l’ai rejoint. Échappé des sacs éventrés, le linge traînait jusque sur le chemin.
— Tenez, lui ai-je dit, voilà le sac du grand Vairon. Ce sont les lettres de sa mère qui dépassent. Elle était à l’hôpital. Elle s’était crevée pour lui envoyer quelques sous, de bons tricots, la pauvre vieille… Deux tués d’un coup.
Il s’est retourné, tout blême.
— Il ne faut pas me raconter cela, gamin. Mon fils est soldat aussi.
Je n’ai su que dire, je l’ai laissé rentrer sans oser le suivre. Le soir, j’hésitais presque à pousser la porte de la salle où j’entendais sa voix essoufflée. Je suis entré avec Bourland. Le vieux demandait à Gilbert :
— C’est vrai que ce grand Vairon, il appelait encore le lendemain, blessé dans la plaine ?
Nous ayant vus, il s’est arrêté, les yeux vite détournés. Il n’a plus reparlé ce soir-là et est monté se coucher avant qu’on se soit mis à table. Je me remémore tout cela et je n’écris plus. Je regarde le vieux qui