Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/176

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de flingue… Et vise la bath jumelle que j’ai prise à un macchabée boche, un officier…

La compagnie suivait le canal, en longue file décousue. Des gourbis des artilleurs, creusés dans la berge, une vapeur montait, et l’on enviait leurs trous humides : « Finir la guerre là dedans, tiens tu parles d’un filon… »

L’eau noire ne reflétait que de la nuit et ne vivait que d’un clapotis léger. On franchit la rivière sur un pont tanguant, fait de barques et de tonneaux. Le canal passé, on entrait dans le bois et la fraîcheur vous tombait sur les épaules comme un manteau humide. Cela sentait le printemps mouillé. Quelque part un oiseau chantait, ne sachant pas que c’était la guerre.

Derrière nous, les fusées dessinaient la ligne infinie des tranchées. Bientôt, les arbres les cachèrent et les hautes futaies étouffèrent la voix acharnée du canon. On s’éloignait de la mort.

En entrant dans le premier village, l’escouade de tête se mit à fredonner, en sourdine, et machinalement on se mit à marcher au pas.

C’est aujourd’hui marche de nuit,
Au lieu d’roupiller, on s’promène…

Alors, brusquement, venu de loin, un bruit sourd « ébranla la nuit : un bruit tonnant de catastrophe, que l’écho répéta longuement. La mine avait sauté.

La colonne, comme au commandement, s’était arrêtée. Plus une voix… On écoutait encore, le cœur