Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/190

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Mais Vieublé n’y tenait pas. Avec un long épi, il était occupé à chatouiller de loin le creux de la main de la bistrote, qui faisait la belle avec ses compagnes.

— T’occupe pas, répondit-il tout bas au rouquin j’te dis qu’on boira à l’œil.

À la porte du cimetière, sa bicyclette posée contre le mur, l’aumônier faisait une distribution de scapulaires et de papier à cigarette.

De l’autre côté de la rue, c’étaient des couteaux qu’on distribuait.

Cela se passait dans la cour du maréchal ferrant. Devant la maison, les hommes du train de combat déchargeaient un caisson de munitions, de lourdes caisses de cartouches qu’ils prenaient à quatre, comme les croque-morts descendent leurs cercueils. Passé le porche, c’était un étalage de marché aux puces. On avait fait sur le pavé un tas de gros couteaux — de forts « surins » au manche de bois, et Lambert, le fourrier, accroupi devant son étalage forain, les distribuait par escouade. C’était une cohue bruyante ; tout le monde braillait en jouant des coudes.

— Ça m’est égal, criait Lambert, les joues empourprées, c’est pas moi que ça regarde… On m’a dit de donner des couteaux à toute la deuxième section, je donne des couteaux… On m’aurait dit de vous distribuer des parapluies, je vous donnerais des parapluies… Le reste, c’est pas mon rayon… allez expliquer ça au major…

Peu à peu, le tas de lames diminuait.

— Pressons-nous ! blaguait le fourrier. Il n’y en aura pas pour tout le monde. Allons, qui n’a pas son couteau ?