avec nous, en première vague. Toutes les sapes, toutes les tranchées étaient pleines, et de se sentir ainsi pressés, reins à reins, par centaines, par milliers, on éprouvait une confiance brutale. Hardi ou résigne, on n’était plus qu’un grain dans cette masse humaine. L’armée, ce matin-là, avait une âme de victoire.
Des camarades, l’œil luisant, les joues rouges, parlaient vite, gagnés par une sorte de fièvre. D’autres restaient muets, tout pâles, et le menton tremblant un peu.
Par-dessus les sacs à terre on regardait les lignes allemandes, ensevelies sous un panache de fumée où craquaient des éclairs ; plus loin encore, dans la plaine, trois villages semblaient brûler, et notre artillerie tirait toujours, dans un tonnerre rejaillissant où se confondaient les arrivées et les départs. Les champs tanguaient sous cette fureur, et je sentais, contre mon coude, la tranchée frémir et s’effriter.
À tout moment, Gilbert regardait sa montre. Cette attente angoissante lui crispait le cœur ; il eût voulu entendre le signal, partir tout de suite, en finir. Il pensa tout haut :
— Ils font durer le plaisir.
Sur le parapet, entre deux touffes d’herbe, deux bêtes se battaient : un gros scarabée mordoré à la cuirasse épaisse et un insecte bleu aux fines antennes. Gilbert les regardait, et, quand le scarabée allait écraser l’autre, il le renversait sur le dos, du bout du doigt. De son front une goutte de sueur tomba sur la petite bête bleue, qui secoua ses ailes bigarrées.
— Attention, il va être l’heure, prévint un officier sur notre droite.