Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/222

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bon parapet… Les pauvres gars, s’ils avaient pensé ça, tout à l’heure… Juste un copain que j’avais l’adresse de chez lui… Gare !

Cela recommençait : des 88 à présent, sous lesquels nous nous applatissions, la figure écrasée contre la terre sèche. Ils arrivaient par cinq, si rapides que le départ et l’explosion claquaient ensemble.

Dans le champ, les blessés couraient, et les éclats en fauchaient qui n’allaient pas plus loin. Mais, de l’autre côté du réseau de fil de fer, on ne voyait rien, toujours rien. C’était la bataille sans ennemis, la mort sans combat. Depuis le matin, que nous nous battions, nous n’avions pas vu vingt Allemands. Des morts, rien que des morts.

Le visage contracté, les poings crispés, les mâchoires serrées, nous comptions les coups. Peu à peu la tête se vide, tout en semblant plus lourde. Mais pourquoi reste-t-on si calme, malgré tout ? On guette, on se gare, mais le cœur ne bat pas plus vite, et l’on regarde autour de soi, sans fièvre, sans surprise. On n’entend plus rien que ces explosions infernales qui vous déchirent la poitrine. Ils tirent, ils tirent… On se sent les jambes molles, les mains froides, le front brûlant. Est-ce cela, la peur ?

Un autre corps gisait au fond du trou. Celui-là n’était pas mort sur le coup. Il s’était tordu un long moment, râlant livide. Maintenant il ne bougeait plus.

— Est-ce qu’on le met aussi en haut ? demanda Lemoine, la tête cachée sous son bras replié.

— En attendant que ça soit notre tour, répondit Hamel.

Nous nous regardions avec une angoisse confuse.