Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/235

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leurs fusils, s’accotaient aux arbres, bande boueuse d’éclopés qu’aucune volonté ne raidissait plus. Bourland arriva sur sa bicyclette basse et m’appela :

— Jacques !… On va défiler dans le village, musique en tête. Le général est sur la place.

Sur le talus, des têtes de gars couchés se redressèrent indignées ; les éclopés se rapprochèrent.

— Quoi ? La parade maintenant ? Ils ne se foutent pas de nous ? On n’est pas assez crevés comme ça ?

— Non, le général veut compter ceux qu’il n’a pas fait tuer…

— Eh ben, moi, je marche pas ; Morache peut toujours gueuler…

Sulphart criait plus fort que les autres, agitant ses bottes invendues.

— Ils ne sont bons qu’à faire des cavalcades… Il n’y a qu’aux tranchecailles qu’on ne les voit pas. Ils ne faisaient pas de mi-carême, aux Trois-Chemins.

— Faire une revue après ce qu’on vient de se tasser, il faut avoir du crime, approuvait posément Lemoine. On ne devrait pas marcher.

Comme ils discutaient, une automobile s’arrêta et Berthier en descendit. Sa capote fangeuse tombait raide, comme un cylindre de boue durcie ; les yeux creux derrière ses verres, il avançait d’un pas traînant. Visiblement, il ne tenait plus.

— On en a marre, mon lieutenant, lui déclara Sulphart, avec une ferme dignité d’homme libre. On ne s’en ressent pas pour défiler devant les péquenots.

— Peut-être bien, mais il y a le général, répliqua doucement Berthier. Allons, mes vieux, sac au dos… Il y a un bataillon de jeunes recrues qui est cantonné