Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/252

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demandé avant de mourir, et que c’est dur de mourir comme ça…

Les mots coulaient de sa bouche, tout doucement, comme coulaient ses larmes. Dans le coin, la tête dans son bras replié, Sulphart sanglotait. Le lieutenant Morache, qu’on avait prévenu, était livide. Il voulait se maîtriser, mais on voyait ses lèvres et son menton trembler.

Bréval ne bougeait plus ; il n’entendait que sa respiration courte qui sifflait. Mais il a brusquement sursauté dans les bras de Gilbert, comme s’il cherchait à se redresser, et, lui serrant durement la main, il a gémi, en suffoquant :

— Non… Non… je veux qu’elle sache… J’ai eu trop de chagrin… Tu lui diras que c’est une garce, tu lui diras…

Il parlait avec peine à présent, et il dut s’arrêter épuisé. Sa tête retomba lourdement sur le bras de Gilbert, dont la capote se tachait de sang. Plus pâle que le mourant, il le berçait et, doucement, lui essuyait la bouche, où l’écume venait crever en bulles rosâtres. Bréval chercha encore à ouvrir ses yeux aux paupières trop lourdes, et voulut parler :

— Petite fille heureuse… faut pas… Tu lui diras, hein… tu…

Sa prière inconnue s’éteignit, comme vacillait le dernier regard dans ses yeux de pauvre homme. Et, comme s’il avait cru lui garder encore un instant de vie en le cachant à Celle qui emporte les morts, Gilbert le serrait contre sa poitrine, sa joue contre sa joue, les mains sous ses épaules, et pleurant sur son front.