Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/273

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n’entendait que le clapotis des pieds arrachés à la vase et les grognements des hommes qui devaient marcher de biais, à cause de leur charge. La paroi molle collait aux coudes et des paquets de boue tombaient dans les seaux de vin ou de rata en faisant « floc ! » Plus on avançait, plus le ruisseau de fange était profond. Les pieds hésitants cherchaient un coin solide où se poser ; puis un faux pas, et l’homme glissait jusqu’aux genoux dans un puisard d’écoulement. Alors, ne pouvant pas se mouiller plus, il lançait un « m… ! » résolu, et repartait tout droit, s’enfonçant délibérément dans la vase. Des blagues à présent, se mêlaient aux jurons.

— Moi, je vais demander au colonel de faire venir ma femme.

— Eh, t’as lu, à Paris, ils ne trouvent pas de voitures en sortant du théâtre.

— T’en fais pas, le baromètre est au beau.

Chaque pas était un effort, la boue aspirant les lourds godillots, et, malgré la pluie, il fallait s’arrêter pour faire la pause. Le dos bossu, les mains au chaud dans les poches, les hommes soufflaient. Les prévoyants n’oubliaient jamais leur quart ; il passait de main en main et chacun puisait un coup de vin dans le seau de toile, ou bien, à la régalade, ils buvaient au bidon un peu de café chaud.

Les tranchées ne tiraillaient pas, engourdies sous la pluie. Pas un obus. On n’entendait rien, que le sourd effort de la corvée. De loin en loin, la troupe fatiguée se jetait dans une autre, venant en sens inverse, ou dans une relève. Les deux files luttaient front à front, têtues, ne voulant pas céder le pas. Un officier au