Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/275

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— Mon vin qu’est foutu par terre !

Agenouillés sur le bord du talus, les hommes regardaient passer le blessé, quelque chose de rigide sous la couverture brune, les lourds godillots dépassant. La face blême, les yeux immenses, les lèvres serrées, il ne parlait pas ; rien qu’un gémissement rauque, quand les porteurs heurtaient son brancard. Il ne semblait voir personne, comme s’il regardait en lui-même la vie s’enfuir. Sa main pendant, comme une chose morte.

Écrasés sous la charge, les brancardiers ahanaient patinant dans la boue, et comme se rapprochait le sourd bourdonnement d’une autre corvée, celui de tête prévenait d’une voix épuisée :

— Laissez passer… Un blessé.

Il fallait attendre que la file fût reformée pour repartir. Les escouades se cherchaient : voix perdues dans le noir et la pluie. L’eau avait crevé tous les couvercles de papier et ce qui ruisselait des parois s’égouttait dans les plats. De la queue, les voix appelaient toujours :

— Pas si vite… Ça ne suit pas.

Mais la pluie les chassait devant elle, cinglant les joues gelées, et ils pataugeaient, sans rien entendre, sans rien voir, chaînons fourbus de la longue file transie.

À la parallèle de Nancy, où notre section était en réserve, la corvée bifurqua. Sulphart ayant posé sa brochette de boules et son plat de rata, alla de trou en trou.

— À la soupe, les gars, criait-il.

En même temps que sa voix, ils entendaient la