Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/282

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— Ah ! c’est bien ce que t’as fait l’autre jour, de ne pas te laisser embusquer, de ne pas vouloir quitter les copains…

Demachy, couché sur le côté, mordillait un brin de paille. Rudement, sans même se retourner, il répondit :

— Non, passe la main, vieux… Ce n’est pas bien du tout : c’est idiot. Mais cela me plaît parfois, à moi, de faire des choses idiotes.

Huit jours auparavant, comme nous étions au grand repos, un de ses cousins était venu le voir, un officier à brassard brodé, qui lui avait proposé de le faire passer dans l’automobile.

— Merci, lui avait répondu Gilbert. Comme auto, je ne conduis que la mienne.

Personne n’avait compris et Sulphart lui-même, qui pourtant eût perdu gros si Demachy était parti, l’avait injurié toute une soirée, criant comme un sourd que l’eau allait toujours à la rivière, et les filons « aux gars trop billes pour savoir en profiter ».

À moi, Gilbert avait avoué :

— La joie de crâner, tu comprends, de cingler quelqu’un d’une réplique… C’est pour cela surtout… Je n’ai même pas pris le temps de réfléchir, cela m’a échappé, comme une injure. Après, je ne pouvais plus me reprendre, il était trop tard… Est-ce bête, hein, de jouer sa peau pour un mot… Mais vraiment, il me dégoûtait trop, avec ses bottes lacées et ses gants paille.

Jamais je ne l’avais vu boire autant que ce soir-là, et il avait saoulé le gros Bouffioux, qu’on venait le même jour de reverser dans le rang, remplacé à la roulante par un maçon qui avait trois enfants.

La promenade dans le cimetière et la découverte