Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/328

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veilles, de patrouilles, d’attaques, de ribouldingue ». En l’écoutant, le plus rétif des auxiliaires eût demandé à partir au front.

Mais les autres blessés, qui en revenaient, étaient des auditeurs moins crédules, et les histoires de Sulphart les rendaient malades de fureur. Tant que les infirmières étaient en rond autour du lit, écoutant, attentivement le narrateur, ils n’osaient rien dire – tout au plus ricaner en sourdine – mais dès qu’elles étaient parties, on voyait se ranimer même les plus débiles, les derniers opérés sortir de leur demi-coma, les convalescents abandonner leur macramé, et, redressés sur leur lit, ils commençaient à injurier Sulphart avec des figures convulsées.

— C’est au cinéma que t’as vu jouer tout ça ?

— On te la fera fermer ta grande gueule, bourreur ! avec tes histoires à la noix.

— Sûrement qu’il n’a dû rien foutre au front, pour en raconter tant que ça…

— Ça licherait les pieds des femmes pour être mieux servi que les copains, ces gars-là.

Seul, l’artilleur ne se fâchait jamais. Quand Sulphart avait longtemps parlé et se carrait contre ses oreillers, les joues fleuries, fier de son succès, il lui disait simplement d’un petit air affectueux :

— T’as bonne mine… Ça fait plaisir à voir… Le major a l’air content, tu as remarqué ?… Allons, t’en fais pas, à la première visite, tout s’arrangera : quinze jours de convalo et tu remonteras au rif…

Cette sorte de promesse éteignait brusquement la joie de Sulphart, et, quand il racontait des histoires, rien ne l’irritait plus que la voix perfide de l’amputé