Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/37

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même son fusil, dont la bretelle lui sciait l’épaule. Mais le peu qu’il devait porter était encore trop lourd et à chaque halte il croyait qu’il n’irait pas plus loin. Quand le coup de sifflet commandait : « Aux faisceaux ! » il aurait voulu ne pas entendre, ou bien qu’on eût pitié de lui et qu’on le laissât là une heure, tout seul, laisser son talon se cicatriser et s’apaiser la fièvre de ses tempes battantes. Pourtant, il se relevait comme les autres et repartait en boitillant, plus perclus, une souffrance à chaque pas. Le sac dégarni n’était pas moins lourd et les bornes indifférentes ajoutaient sans cesse de nouveaux kilomètres à l’étape déjà longue.

Peu à peu, la rumeur de la troupe en marche s’apaisait. On sentait la fatigue : « La pause ! La pause ! » criait-on en se cachant. Des éclopés sortaient du rang et se déchaussaient, assis au pied du talus. Sur le bord de la route, Barbaroux, le major à quatre galons, donnait une consultation, maintenant des rênes et du genou son cheval qui piaffait. Devant lui, tout gauche, un homme se tenait au garde-à-vous.

— Tais-toi ! criait le major, les veines des tempes gonflées. Tu marcheras comme les autres… Je suis commandant, tu entends, commandant ! Qu’est-ce que tu me dois ?

Le biffin hébété le regardait.

— Mais je ne sais pas… Je ne vous dois rien, m’sieur le major.

— Tu me dois le respect, hurlait Barbaroux sautant sur sa selle… Tiens-toi droit… Tends la main, je t’ordonne de tendre la main… Naturellement sa main tremble… Tous alcooliques, fils d’alcooliques… Eh