Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/39

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ment. Autour des fermes, au milieu des champs, on en voyait partout : un régiment entier avait dû tomber là. Du haut du talus encore vert, ils nous regardaient passer, et l’on eût dit que leurs croix se penchaient, pour choisir dans nos rangs ceux qui, demain, les rejoindraient.

Pourtant, elles n’étaient pas tristes, ces premières tombes de la guerre. Rangées en jardins verdoyants, encadrées de feuillage et couronnées de lierre, elles se donnaient encore des airs de charmille pour rassurer les copains qui partaient. Puis, à l’écart, dans un champ nu, une croix noire, toute seule, avec un calot gris.

— Un Boche ! cria quelqu’un.

Et tous les nouveaux se bousculèrent pour regarder : c’était le premier qu’ils voyaient.



Dans un bourdonnement assourdi de voix étouffées, de cliquetis et de pas fourbus, la compagnie entra dans le village noyé d’ombre. Pas bien loin, les fusées barraient la nuit d’un long boulevard de clarté, et, par instants, cela s’égayait de lueurs rouges ou vertes, vite éteintes, pareilles à des enseignes lumineuses.

Ce ciel de guerre faisait penser à une nuit populaire de quatorze juillet. Rien de tragique. Seul, le vaste silence.

Au milieu de la grande rue, une ferme qui brûlait mettait au-dessus des toits démantelés un rouge brutal de fête foraine, et l’on était tout surpris de ne pas