Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/69

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venus, nous avons été équipés de bric et de broc, dans le désarroi du premier mois de guerre, et depuis, on s’est arrangé comme on a pu. Il y a des capotes de toutes les teintes, de toutes les formes, de tous les âges. Celles des grands sont trop petites, et celles des petits trop longues. La martingale de Fouillard lui bat minablement les fesses, et sur le large coffre du père Hamel, la capote trop étroite fait des plis circulaires, tous les boutons prêts à péter. Moi, c’est Sulphart que je préfère.

Il est vêtu d’une capote ancien modèle, bleu foncé, avec une grande poche rapportée, d’un joli bleu hussard. Il a cousu son paquet de pansement sur son téton gauche et renforcé ses molletières grises d’une bande de gros cuir, découpée dans des jambières réglementaires. Comme tout bon soldat d’active, il a voulu se distinguer en cassant la visière de son képi, à la Bat’d’Af, et il a encore enjolivé ce couvre-chef, plus aplati qu’une galette, d’une jugulaire tressée du meilleur effet.

Ses larges godillots craquelés et racornis, qu’on dirait taillés à la serpe dans du vieux bois, portent encore à leurs talons tournés un peu de la boue glorieuse des tranchées, et son pantalon rouge apparaît aux cuisses, par une large déchirure dans sa cotte de toile bleue. On le croirait dessiné pour l’Illustration.

D’autres, qui ont déjà touché les nouvelles capotes bleu horizon, font les farauds. On dirait qu’ils vont faire la guerre en habit des dimanches. Les camarades les regardent avec une ironie forcée.

— T’occupe pas, toujours les mêmes qui se démerdent…