Page:Dorian - Inconnu, paru dans Gil Blas du 3 au 7 mai 1904.djvu/3

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la signification avait grandi avec les souffrances et les angoisses de la Mission, avec l’inconnu plus grand et plus profond encore de ce Sahara au seuil duquel Flatters était tombé !…

Cependant que lui apparaissaient de loin, comme à la réflexion, les horreurs de cette bande désertique qui coupe en deux le Sahara, et fait de Tadent à In-Azaoua (sur 250 kilomètres de largeur), comme un désert dans le désert lui-même, Dorian comprenait mieux la grandeur de l’œuvre accomplie par la Mission, et l’intérêt qu’il y avait à vulgariser tout ce qu’il avait vu, pour ses amis et pour le grand public.

Comme tous ceux qui, cœurs simples, sont mêlés à quelque action héroïque, il était toujours porté à trouver tout naturel ce qui se passait autour de lui et avec lui, sur le moment même.

Mais, à Paris, on prend une plus juste conscience de la valeur de toutes choses, et, à l’admiration que l’on témoignait à ceux qui avaient traversé, pour la première fois, le Sahara du Nord au Sud, il avait compris que, décidément, il ne pouvait faire une œuvre quelconque, et s’était mis résolument à un travail sérieux.

Pour la première fois, peut-être, à la veille de mourir, l’ambition véritable lui était venue, l’ambition, noble s’il en fut, de dire sa pensée sur l’Afrique française.

Le cœur, aussi s’en était mêlé. Il avait conçu, pour le commandant Lamy, une amitié passionnée. Ce chef incomparable, auquel tout le monde rend hommage, cette grande figure, sévère et timide, disparue tragiquement sur le champ de bataille du Tchad, il voulait la faire revivre, lui consacrer ses meilleures lignes, mettre en tête de son livre le portrait de celui qu’il chérissait, et qui devenait, peu à peu, à chaque page, comme l’âme de son récit.

Et, chemin faisant, tandis qu’il revivait, phrase par phrase, le passage du Tanssrouf horrible, les misères de l’Aïr, les attaques du Kel-Oui, les attentes mortelles d’Aguellal et d’Agadez, il lui apparaissait comme la nécessité d’un devoir civique, très élevé, à remplir, et la crainte de ne pas être à la hauteur de cette tâche l’envahissait — stimulant éternel des grandes choses.

Ce devoir s’était imposé tout à fait lorsque,