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I

IDYLLE

De la terrasse, on voyait la Loire onduler lourdement sur son lit de sable roux. Ceint de peupliers, entre ses rives surplombantes, le large fleuve menait son onde liquoreuse vers la mer. Le soir chut. Au couchant, le soleil se perdait parmi des buées mordorées. Dans le silence frémissant, empli de vols d’oiseaux, une cloche lointaine sonna le triple appel de l’angelus.

Louise de Bescé, mince et blanche silhouette indolente, s’approcha de la balustrade aux meneaux gothiques. Le lieu dominait le chemin et offrait sur les lointaines perspectives une sorte d’enfoncée aux lignes souples. La jeune fille aimait à méditer devant le crépuscule, grand drame quotidien, qui, depuis tant de siècles, angoisse les humains et semble leur rappeler la fin certaine de toute vie ici-bas.

Un oiseau passa en jetant de petits appels. Perdu dans la campagne déroulée comme un tapis, l’aboi d’un chien éloigné fut le cri désespéré de la terre menacée par la nuit.

Louise de Bescé rêvait. Elle se complut à placer, devant le spectacle qui, en ce moment, emplissait ses rétines, des personnages de romans favoris. Julien Sorel, raide et hautain, passa devant ses yeux. Puis Mathilde de la Mole, emplie d’un rêve orgueilleux et romantique devant le cadavre décapité de son amant. Elle se crut ensuite Aimée de Coigny, à la prison Saint-Lazare, regardant, le 6 Thermidor, André Chénier partir pour la guillotine. Elle fut encore Madame de Cerizy, accourant pour sauver Lucien de Rubempré emprisonné… et qui venait de se pendre…