Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
118
ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

rabâchages des mesquines et pitoyables théories contemporaines, ne sont pas pétris du même limon que le sien ?… »

Et sa rancune contre les gens d’action s’aggrave sans doute du dédain qu’eux-mêmes professent pour les poètes, en qui, ils aperçoivent d’inutiles amuseurs. Leconte de Lisle relit, avec un sourire de satisfaction, les jugements que, d’instinct, dès son arrivée à Paris, il avait portée déjà sur les collaborateurs de la Démocratie Pacifique et de la Phalange :

« … Mes collègues, sont les hommes les plus probes et les plus bienveillants de la Presse parisienne, mais ce sont aussi les hommes les plus ignorants de l’Art, que je connaisse. Je suis, à vrai dire, le seul rédacteur littéraire de l’école…[1]

Le poète est persuadé à cette heure que, l’échec de ses idées révolutionnaires, et de l’amélioration sociale qui devait en résulter, ont pour cause principale l’insuffisance de culture des hommes qui mènent la partie. Il croit sincèrement que des gens qui n’ont pas eu la révélation de la beauté artistique et de ses harmonies, sont incapables de : « galvaniser le peuple et de conduire les affaires ». Blanqui lui fait l’effet d’une « hache ». Prudhon l’exaspère avec ses prétentions à l’infaillibilité, ses allures de « pape moderne », proclamant et imposant les dogmes qui lui ont été révélés.

Enfin, un aveu qui échappe à Leconte de Lisle achève d’expliquer son détachement de ceux qu’il a connus à ses dépens et dont il se sépare :

« Les hommes politiques ont plus de sang dans les veines que de matière cérébrale dans le crâne… Ce sont des natures abruptes, des esprits ébauchés, fermés à toute clarté d’un monde supérieur… Ces hommes ont été confinés, par la loi harmonique, aux infimes échelons de la grande hiérarchie humaine…[2] »

  1. Lettre à Ménard, 1849.
  2. Ibid.