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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/14

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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Mais la piété des lecteurs anonymes est exigeante. Derrière l’homme inspiré, elle tient à connaître l’homme lui-même. Elle cherche à isoler ce qu’il y a en lui de don inné, de divin, puis à faire la part de ce qu’il a emprunté à son temps, et de ce qu’il lui a rendu. Cette curiosité n’est point vaine. De la monographie de chaque individualité d’élite, elle fait une précieuse contribution à l’histoire d’une génération, à l’histoire de l’homme dans l’humanité.

La retraite, la demi obscurité dans laquelle Leconte de Lisle à vécu jusqu’à sa dernière heure, les légendes qu’il a traînées derrière soi, devaient inciter l’amitié à le prier de fixer quelques-uns des traits de sa physionomie poétique et morale, de découvrir, comme dans une espèce de testament philosophique, l’opinion qu’il se formait, personnellement, sur la discipline première de son esprit.

Un an avant sa mort, il consentit à prendre la plume pour écrire des notes qui serviraient un jour à l’établissement de sa biographie poétique, qui définiraient les influences, fixeraient les faits, auxquels lui-même attachait de l’importance. Ces renseignements qui, dans la forme où ils furent donnés, n’étaient pas destinés à la publicité, étaient accompagnés de cette lettre :


Paris, 3 novembre 1893.


« … En me demandant avec tant de bonté des notes personnelles pour l’Étude littéraire que vous voulez bien entreprendre, vous m’embarrassez beaucoup, je l’avoue… Il est toujours délicat de parler de soi avec toute la modestie désirable, et bien que je ne sois pas de ceux qui s’illusionnent volontiers sur eux-mêmes, j’éprouve une certaine appréhension dès qu’il s’agit de me mettre en scène. Cependant le peu que je puisse vous dire étant presque impersonnel, je m’empresse de tenir la promesse que je vous ai faite. Ceci pourrait s’intituler : Comment la Poésie s’é-