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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

qui tantôt donnent, à ses poèmes, l’allure d’une prophétie, tantôt le caractère partial d’une plaidoirie passionnée.

Ce qu’il y a de plus remarquable, dans les travaux de littérature comparée qu’il signe, alors qu’il est encore étudiant à Rennes, est un sens historique déjà aiguisé. Ce don s’affirmera tout à fait dans les études en prose qu’il publiera à Paris, dès 1846[1].

Cette fois, il donnait son sentiment sur le mouvement de révolte qui soulevait les Hindous contre l’autorité anglaise.

Il les avait aimés, dans son adolescence, ces hommes de bronze, qui venaient mêler leur travail à celui des créoles et des noirs de Bourbon. Il les avait vus passer :


« Le bracelet au poing, l’anneau sur la cheville
               Et le mouchoir jaune au chignon...
Ployant leur jarret maigre et nerveux, et chantant,
               Souples dans leurs tuniques blanches…[2] »


L’étude approfondie que Leconte de Lisle était en train de faire de la littérature sacrée de l’Inde l’éclairait, d’autre part, sur les dispositions ataviques de leurs âmes. À la clarté de ces doubles renseignements, il avait, pour les juger, la sûreté du coup d’œil qui est le fait d’un historien ; il prévoyait que : « tôt ou tard, l’insurrection actuelle se transformerait en un soulèvement national des mongols, musulmans et hindous… » Ce disant, il prédisait, un demi-siècle d’avance, un des faits dont se montrent aujourd’hui le plus préoccupé ceux de nos contemporains qui étudient, sur l’âme asiatique, les effets de l’évolution.

Si le poète s’était plu à rédiger ce « Mémoire » ce n’était point pour composer une histoire commerciale de nos établissements orientaux : il avait été séduit par l’occasion qui lui était offerte de formuler, en matière de colonisation, sa

  1. À la Démocratie Pacifique.
  2. « Le Manchy ». Poèmes Antiques.