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LA VIE PASSIONNELLE

dans son cœur. Le nom de ces femmes, par lesquelles il connut les tourments qu’entraîne une passion, ne sont point sortis de l’ombre où il a enseveli leur souvenir.

Mais la renommée littéraire dont il commençait de jouir, autour des années 1850 à 1855, a fait noter ses assiduités auprès de la femme d’un artiste de ses amis M. X…

Leconte de Lisle venait d’avoir trente-cinq ans, il était très beau, comme l’atteste le portrait que Jobbé Duval a peint d’après lui. Il y apparaît dans tout l’éclat de la jeunesse. La face, entièrement rasée, est pleine : c’est la construction large de pommettes et d’attache des mâchoires, du type celtique. Le front très haut, ample, est coiffé d’abondants cheveux châtains. Ils bouclent sur les tempes, couvrent l’oreille, la nuque. L’œil, d’un gris bleu, est intense. La bouche, merveilleusement dessinée, est vivante. Le bas du visage, apparaît un peu fort, avec un double menton nettement indiqué. Il contribue à donner, à cette image, d’ailleurs sévère, on ne sait quel aspect ecclésiastique. Le col mou, soutenu par une cravate noire, tranche vivement sur la redingote, noire elle aussi, et sur la chaleur ambrée d’un teint pur et uni de créole. On sent que le peintre a été séduit par le contraste de ces yeux clairs et de cette peau mate, par l’élégance, la hauteur de la taille, l’ampleur de la poitrine, la délicatesse des mains.

Si on ajoute, à cette beauté du visage, la réserve un peu hautaine et la noblesse de l’attitude, qui caractérisèrent toujours le port de Leconte de Lisle, on comprend les succès qu’il obtenait.

Le mari de celle qu’il aimait appartenait à cette catégorie d’artistes, qui ont plus d’autorité lorsqu’ils parlent à voix haute, avec des expressions techniques, des choses de l’art, que lorsqu’ils sont mis en demeure de donner la preuve de leur talent. Cette assurance de parole, avec un charme de bonhomie et une allure de force, avait touché autrefois le cœur de la jeune fille qui l’avait épousé par amour. De-