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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/205

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LA VIE PASSIONNELLE

Son goût pour les vers s’était accru de sa mélancolie. Rentrée dans la maison de ses parents, elle en était la grâce.

Comme par le passé, pendant les mois d’été, elle retournait en Bretagne. Ce fut là, en face de la mer que Leconte de Lisle la retrouva. Le songe virginal qui, jadis faisait sourire la fillette sous l’épais Sycomore était fini. Maintenant elle connaissait l’amour et la douleur. Il était naturel qu’ils fussent la matière des entretiens dont s’enivrait le poète.

Les portraits que l’on a faits de Leconte de Lisle à cette date, le révèlent dans la beauté de sa stature toujours droite, dans l’ampleur magnifique de sa poitrine. Le feu de son regard paraît insoutenable, l’ironie est au coin de sa lèvre ; la vivacité de son expression est jeune, comme son port de bataille.

Aux côtés de cette enfant blessée, qu’il faut réconforter, les encouragements et les paroles de la tendresse prennent aisément une couleur d’amour, Leconte de Lisle s’y trompe, et cette merveilleuse erreur lui rend un instant tous les élans de sa jeunesse. Qu’if accompagne la jeune femme dans ses promenades à cheval, ou qu’il accomplisse, sous ses yeux, des prouesses de nageur, il a oublié que la soixantaine le touche. C’est, dans le cœur et dans l’esprit du poète le retour de l’aurore, avec tout ce qu’elle apporte d’ivresse sur la terre et dans les cieux. Il faut que, pour la jeune bien-aimée, la nature entière communie dans la renaissance de ce cœur d’homme vivifié par l’amour : il faut que les théories de vierges se parent de fleurs et que les papillons viennent voltiger autour de la neige de leurs seins ; il faut que les colombes plongent dans la fraîcheur des sources ; que les gazelles bondissent, que les lions poussent leurs rugissements : enfin, que les lampes qui éclairaient le léthargique sommeil d’Adonis relèvent leurs mornes feux : le jeune homme divin, le Bien-Aimé d’Aphrodite, va ressusciter avec le cœur même du poète :