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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Sainte Hellas ». Mais la pièce n’a pas été écrite pour la seule joie de faire, une fois encore, défiler sous les yeux du poète l’armée des Dieux vaincus. Il a quelque chose de plus à dire : il avoue que ces Dieux, qui ne vécurent dans aucun Olympe, et qui, à cette heure, ne s’effritent dans aucun Charnier, continuent de subsiter — fut-ce d’une vie déclinante, dans son cœur d’homme. Celui qui a créé ces fantômes ne parvient pas à se débarrasser d’eux, même quand il est philosophiquement sûr que nulle réalité extérieure n’a jamais correspondu à ces inventions de la peur et de l’espoir. Et alors se pose cette question passionnée, drame de tous les esprits, de toutes les vies :


« Vous en qui j’avais mis l’espérance féconde,
Contre qui je luttais, fier de ma liberté,
Si vous êtes tous morts, qu’ai-je à faire en ce monde,
Moi, le premier croyant et le vieux révolté ?[1] »


À cet instant l’homme entend une voix. Elle monte de lui-même, elle dit : C’en est fait, l’homme ne croira plus, rien ne lui rendra la foi ni le blasphème ; il sait que ces spectres d’un jour, c’est lui qui les créait. Cependant s’il n’a pu vivre avec les Dieux il ne pourra pas, davantage, vivre sans les Dieux. Qu’il se rassure pourtant, son supplice ne sera point de longue durée : le Néant est là ; il guette l’homme comme il a guetté les Dieux, et demain l’homme lui appartiendra :


« … Va ! Console-toi de ton œuvre insensée,
Bientôt ce vieux mirage aura fui de tes yeux,
Et tout disparaîtra, le monde et ta pensée,
Dans l’immuable paix où sont rentrés les Dieux.[2] »

  1. « La Paix des Dieux ». Derniers Poèmes.
  2. Ibid.