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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/265

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LA CONCEPTION POLITIQUE

d’être connu, aimé et servi par lui, n’exigent pas autre chose de l’homme que de renoncer à sa raison, à son intelligence, à sa liberté morale, de se nier soi-même et de s’anéantir en face d’une puissance absolue dont il ne lui est accordé de comprendre ni la nature ni la justice[1] »

L’attitude violente que Leconte de Lisle prend ici contre la théorie qui inspira, à un Bossuet, le Discours sur l’Histoire universelle s’explique, encore une fois, par l’angoisse affreuse où il était de voir, l’esprit d’autorité puiser, dans le spectacle du triomphe de l’Allemagne et de l’effondrement momentané de la France, des forces nouvelles de sommation. À supposer que l’idée d’une abdication de Napoléon III au profit de son fils fut un fantôme vite écarté du chemin de ceux qui allaient à la République, la possibilité d’une Restauration monarchique hantait tous les esprits[2].

Le poète craignait que, ceux qui font remonter, à une intervention providentielle, la cause des événements, ne cherchassent, dans un mouvement religieux, — l’appui nécessaire pour asseoir leur autorité. Il voulut jeter le cri d’avertissement et de ralliement qui réveilleraient ceux, d’entre les représentants du peuple, qui pouvaient hésiter sur les formes ou sur les principes :

« … Nul ne pourra se dire, déclara-t-il, et ne sera sincèrement Républicain, s’il n’est pas convaincu que le principe de la Justice est inhérent à sa conscience et s’il peut croire

  1. M. Dufaure, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, répondit à l’interpellation de M. de Gavardie en disant qu’il lirait le livre entier et qu’ensuite il saurait : « … s’il était justiciable des tribunaux ou du bon sens du public ». Et il n’en fut plus question.
  2. M. Henry Houssaye qui, après la mort du poète vint s’asseoir sur le fauteuil de Leconte de Lisle, à l’Académie française remarque à ce propos : « Les Grecs n’ont pas seulement créé les plus beaux monuments de l’art et de la pensée… ils ont aussi créé cette chose inconnue avant eux et oubliée après eux pendant douze ou quinze siècles : la Liberté. Leconte de Lisle était trop pénétré de l’esprit grec pour ne point avoir des sentiments démocratiques (Henry Houssaye ». Discours de Réception à l’Académie française, 13 décembre 1895.)