Aller au contenu

Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/282

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
268
ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Avant tout examen des faits philosophiques qu’il aura à se poser dans le silence de la pensée, il est le juge prévenu qui ignore sa prévention. Il projette, sur toute la surface de l’univers, l’ombre dont il est enveloppé :


« … Et voici qu’on entend gémir comme autrefois,
L’Ecclésiaste assis sous les cèdres bibliques…[1] »
« L’angoisse du désir vainement nous convie
L’homme a perdu le sens des paroles de vie
L’esprit se tait…[2] »
« Les lumières d’en haut s’en vont diminuées… »
L’esprit ne descend plus sur la race choisie ;
Il ne consacre plus les justes et les forts…[3] »
« … Les Muses, à pas lents, mendiantes divirles,
S’en vont par les cités en proie au rire amer.
Ah ! c’est assez saigner sous le bandeau d’épines
Et pousser un sanglot sans fin comme la mer !…[4]
« … Oui ! le Mal Éternel est dans sa plénitude…[5] »


Enfin cette réponse de Qaïn à Dieu :


« … Que m’importe la vie au prix où tu la vends !…[6] »


À présent, le poète est sûr que le monde est l’œuvre du Mal, et qu’il ne vivra qu’autant que vivra le Mal lui-même. Dans la Tristesse du Diable il affirme que « l’œuvre des six journées » sera abolie le jour où, du fond de l’espace sans limites, les races dominées entendront une voix crier : « Satan est mort ! »

Cette terrible certitude attache Leconte de Lisle à ceux qui ont aperçu, comme lui, l’universelle destruction au terme des créations de la douleur. C’est la raison pour laquelle ce poète, — amant des marbres grecs que le soleil inonde,

  1. « L’Anathème, 1845 ». Poèmes Barbares.
  2. « Dies Irae, 1845 ». Poèmes Antiques.
  3. Ibid.
  4. Ibid.
  5. Ibid.
  6. « Qaïn ». Poèmes Barbares.