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L’ÉVEIL DU POÈTE

Lisle a laissées du décor de la planète ; mer, montagne ; et puis des formes en mouvement.

C’est ainsi que l’on entend respirer, dans ses poèmes, une mer, que l’on a envie de nommer : « créole » par opposition à l’Océan, qu’il connut dans ses nombreuses traversées de l’Équateur, — à la mer celtique, qu’il vit déferler contre les granits de Bretagne, — à la « mer élément », qu’il chanta plus tard comme le soleil — comme la nuit — parce qu’il apercevait en elle une autre figure de la dévastation dévoratrice. Ce fut pour cette « mer créole » de Bourbon qu’il écrivit ces deux vers d’amour qui ne périront pas :


« … La mer soupire et semble accroître le silence
Et berce le reflet des mondes dans ses plis…[1] »


Le désenchantement du poète pour la mer commence avec l’ennui de ces longues traversées, que l’on faisait alors sur de lents voiliers, et qui furent toujours liées, pour Leconte de Lisle, à des souvenirs de déracinements douloureux, de changements de vie qui déchirent, de départs vers des espérances trop incertaines, de retours vers un idéal que, déjà, l’absence a pâli. Ce fut, pendant des heures lourdes, que l’Océan lui apparut, pour la première fois, comme le morne miroir de la destinée. Il note la lassitude de ces heures où la mer n’est qu’une étendue grise, calme, immense « dont l’œil fait vainement le tour. » Il descend dans le profond ennui qui pèse entre le ciel et la terre lorsque la lourde coque du bâtiment montre à peine, hors de l’eau, ses flancs de cuivre ; quand :


« … Les hommes de quart sans rien voir,
Regardent, en songeant, les houles
Monter, descendre, et se mouvoir.[2] »

  1. « Illusion suprême ». Poèmes Barbares.
  2. « Clairs de Lune ». Poèmes Barbares.