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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/336

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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

lettre adressée par Leconte de Lisle à son cousin M. Foulques, à la date du 2 octobre 1870, et qui fut expédiée de Paris par la poste des ballons :

« … Au milieu de toutes mes misères matérielles, écrit-il, je suis accablé par une nouvelle calamité morale : mon nom a paru dans les listes des Papiers Impériaux. Vous savez qu’une allocation mensuelle de 300 francs, m’avait été offerte dans le temps pour faire mes traductions grecques. Une nécessité sans réplique m’avait contraint d’accepter, car la pension de Bourbon me manquait, et me trouvant chargé de ma mère et de mes sœurs qui manquaient de tout, je devais choisir entre la vie et la mort des miens. Je me suis sacrifié. Et m’en voici récompensé par les insultes des journaux. Je vous jure que si les Prussiens pouvaient me tuer, ils me rendraient un suprême service. Je suis si profondément malheureux que je me demande si je ne ferais pas mieux de me brûler la cervelle. Après avoir vécu pauvre dans la retraite et dans le travail, voici que je n’en recueille que des outrages pour toutes récompenses. Tout cela est affreux et me jette dans le désespoir… Je suis de garde aux Remparts demain au point du jour. C’est là qu’on attend l’assaut. Puissé-je y rester !… »

Il est aisé de se former une idée des sentiments qui, en effet, pouvaient hanter l’âme de Leconte de Lisle et ajouter l’accablement psychique aux fatigues physiques, pendant ces heures de guet, sur le Rempart, où, autour de lui comme au dedans de lui, il sentait crouler toutes ses fiertés. Qui sait si, à cette minute, ils ne revinrent pas sur ses lèvres, avec un goût particulier d’amertume, ces vers, que, peu d’années auparavant il avait composés en l’honneur de l’éternelle « Chimère ? »

C’était en 1867. Il venait de traduire Hésiode. Il y avait trouvé la matière du poème symbolique qu’il a intitulé Ékhidna. Tout, alors, semblait lui sourire : le peu d’or qui entrait dans sa maison lui assurait la paix d’esprit dont il