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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/357

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L’HOMME

mathématique. Le rayonnement de ses derniers jours jetait pour lui de la clarté, sur l’inconnu qui précède et qui suit la vie. On se souvient du testament philosophique par lequel Victor Hugo, mourant, légua, si l’on peut dire, un « Credo », à la fois spiritualiste, et dégagé des formes religieuses :

« Je crois en Dieu. Je refuse l’assistance de toutes les Églises. Je demande une prière à toutes les âmes. »

Leconte de Lisle n’affirma jamais rien d’aussi précis. Mais sûrement, il estimait, qu’une fois pour toutes, il avait formulé le dernier état de sa pensée dans cette pièce : In Excelsis où, au delà des doutes, il a fait un suprême effort pour atteindre — si elle est à la portée de l’homme — la Cause Première. Il se souvenait des heures où, dans un élan éperdu, il s’était senti porté vers la Lumière, par ce chant des sept strophes, qui l’élevaient, comme les sept ailes des Chérubins. Il entendait encore en lui l’écho de ce cri : « Monte, monte ! » qui, dans le vide, avait soutenu sa volonté d’atteindre, à la fin, l’Infini :


« … Monte où la Source en feu brûle et jaillit entière.
De rêve en rêve, va ! des meilleurs aux plus beaux.[1] »


Il était sûr d’être parvenu ce jour-là à la limite où « l’intelligible cesse ». La révélation dont il avait été touché, à cette hauteur de vertige, l’avait laissé persuadé, que la pensée de l’homme n’est point faite pour tout embrasser, que tout ce qui est, ne peut pas être compris : « et voici l’agonie, le mépris de soi même, et l’ombre » :


« Et le renoncement furieux du génie.[2] »


Hélas ! à quoi lui avait-il servi, ce « génie », dont il se sentait embrasé et qui, sûrement, lui avait donné de la puissance

  1. « In Excelsis ». Poèmes Barbares.
  2. Ibid.