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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

« … Il évoque, en hurlant, l’âme des anciens loups
Qui dorment dans la lune éclatante et magique,[1] »


Et, sans doute, il est le frère de ces chiens, dont la clameur s’élève, dans une page des Poèmes Barbares, et que le poète semble avoir entendu, toute sa vie, aboyer, autour de son sommeil aussi bien que de sa veille, telles les meutes qui, d’une plainte sans fin, enveloppent les tentes de l’Islam :


« … De maigres chiens, épars, allongeant leurs museaux,
Se lamentaient, poussant des hurlements lugubres.
La queue en cercle sous leurs ventres palpitants,
L’œil dilaté, tremblant sur leurs pattes fébriles,
Accroupis çà et là, tous hurlaient, immobiles,
Et d’un frisson rapide agités par instant…
… Quelle angoisse inconnue, au bord des noires ondes,
Faisait pleurer une âme en vos formes immondes ?
Pourquoi gémissiez-vous, spectres épouvantés ?[2] »


C’est qu’à travers leurs cris, le poète entend la voix innombrable de l’universelle inquiétude qui hante toute vie — celle de l’insecte et de l’oiseau qui se cachent sous les feuilles des arbres aux approches de la nuit — comme celle du monstrueux hippopotame, « cuirassé de vase », qui se tapit dans le fond du fleuve, et de l’éléphant pensif, rugueux, lent, rude, — qui, soulevant la poussière, faisant crouler les dunes sous son pied « large et sûr », émigré, au-delà des déserts, pour fuir les chasseurs.

Certes, celui qui n’a jamais vu, libres et forts, ces éléphants, survivants du déluge, les apercevra pour toujours dans la peinture que le poète nous en a tracée. Il les fait apparaître « massifs » avec « leurs faces solides », l’arc de leurs échines « puissamment voûté », leurs corps gercés « comme des troncs » :

  1. « L’Incantation du Loup ». Poèmes Tragiques.
  2. « Les Hurleurs ». Poèmes Barbares.