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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

lignes de la vision se dessinent d’elles-mêmes, elles se soutiennent alors mutuellement ; elles prennent l’importance qui leur appartient dans l’harmonie totale.

Les descriptions de Leconte de Lisle sont soumises à cette loi générale. Le poète ne se lasse jamais de revivre les beautés devant lesquelles ses yeux se sont ouverts, pour composer des pièces, exécutées de mémoire, à l’aide de simples notes, — d’aquarelles poétiques, si l’on peut dire. Et celles-ci sont parmi les pages les plus saisissantes que Leconte de Lisle ait écrites. Rarement il a égalé en émotion, en précision définitive, des tableaux comme celui qu’il a tracé, par exemple, de son île chérie, dans : L’Illusion suprême lorsque, du fond de l’appartement obscur où il s’était réfugié, rue Cassette[1], à une heure de découragement, intense jusqu’au désespoir, il se recueillait, pour apercevoir, une fois encore, les paysages qui avaient enchanté sa jeunesse.


«... Rien du passé perdu qui soudain ne renaisse…[2] »


Il revoit « la montagne natale et les vieux tamarins », le bassin clair « entre les blocs de lave ». Sous le lilas géant, voici a le vert coteau, la tranquille maison » :


« Les grands parents assis sous la varangue fraîche,
Et les rires d’enfants à l’ombre des bambous…
Et tu renais aussi, fantôme diaphane,
Qui fis battre mon cœur pour la première fois…[3] »


Mais la vision du poète traverse ces apparences, regarde sous la terre. Il y distingue :

  1. Vers 1864.
  2. « L’Illusion suprême ». Poèmes Tragiques.
  3. Ibid. Et dans une autre pièce : Le frais Matin, où il parle du « lys » qui « lui a versé sa première ivresse », on lit :

    « … Je revois toujours mes astres familiers,
    Les beaux yeux qu’autrefois, sous nos gérofliers,
    Le frais matin devait dé sa clarté première. »

    Poèmes Tragiques.