Page:Dornis - Leconte de Lisle intime, 1895.djvu/20

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« Il est toujours délicat de parler de soi avec toute la modestie désirable, et bien que je ne sois pas de ceux qui s’illusionnent volontiers sur eux-mêmes, j’éprouve une certaine appréhension dès qu’il s’agit de me mettre en scène. Cependant, le peu que je puis vous dire étant presque impersonnel, je tiens la promesse que je vous ai faite.

« Ceci pourrait s’intituler : Comment la poésie s’éveilla dans le cœur d’un enfant de quinze ans. C’est tout d’abord grâce au hasard heureux d’être né dans un pays merveilleusement beau et à moitié sauvage, riche de végétations étranges, sous un ciel éblouissant. C’est surtout grâce à cet éternel « premier amour », fait de désirs vagues et de timidités délicieuses : cette sensibilité naissante d’un cœur et d’une âme vierges, attendrie par le sentiment inné de la nature, a suffi pour créer le poète que je suis devenu, si peu qu’il soit.

« La solitude d’une jeunesse privée de sympathies intellectuelles, l’immensité et la plainte incessante de la mer, le calme splendide de nos nuits, les rêves d’un cœur gonflé de tendresses, forcément silencieuses, ont fait croire longtemps que j’étais indifférent et même étranger aux émotions que tous ont plus ou moins ressenties, quand, au contraire, j’étouffais du besoin de me répandre en larmes passionnées. J’en ai versé, plus tard, en sachant par moi-même que les femmes nous plaignent volontiers des peines que d’autres nous font endurer et jouissent de celles qu’elles-mêmes nous infligent. »

Quand il arrivait enfin à la ville lointaine, l’enfant