Page:Dornis - Leconte de Lisle intime, 1895.djvu/49

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Jusqu’au ciel idéal dont la hauteur l’accable,
Quand l’homme de ses dieux voulut se rapprocher,
L’holocauste sanglant fuma sur le bûcher.
Et l’odeur en monta vers la nue implacable.

Domptant sa chair qui tremble en ses rébellions,
Pour offrir à son Dieu sa mort expiatoire,
Le martyr se couchait sous la dent des lions.
Dans la pourpre du sang comme en un lit de gloire.

Mais si le Ciel est vide, et s’il n’est plus de dieux,
L’amère volupté de souffrir reste encore,
Et je voudrais, le cœur abîmé dans ses yeux.
Baigner de tout mon sang l’autel où je l’adore !


Cette pièce est un acte de foi. Mais l’âme du poète avait pris trop profondément le pli du doute pour que la vanité du sacrifice ne lui apparût pas comme le néant de tout le reste. Il n’en voulut retenir que la joie éphémère qu’il donne quand on l’applique à quelque objet chéri. N’était-il pas naturel d’ailleurs qu’ayant parcouru tout le cycle de sa pensée, le poète retrouvât, avant de finir, les émotions de son enfance, cette vision de la jeunesse adorable qu’il avait aperçue autrefois derrière les mousselines du « manchy » ? Le cher fantôme de ses jeunes années passa encore une fois devant ses yeux avant qu’il les fermât à la lumière. Il le reconnut, et il lui sourit dans ces vers que, disait-il, il « aurait voulu faire lire à tous, pour qu’à la fin on connût son cœur » :

Toi par qui j’ai senti, pour des heures trop brèves,
Ma jeunesse renaître et mon cœur refleurir,
Sois bénie à jamais ! J’aime, je puis mourir.
J’ai vécu le meilleur et le plus beau des rêves !