Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/193

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dès demain, je secouerai la poussière de mes chaussures sur le seuil de cette maison.

Il fit un mouvement pour se lever. Mon oncle, effrayé, se précipita et le fit asseoir de force.

— Non, Foma, tu ne t’en iras pas, je te l’assure ! criait-il. Ne parle plus de poussière, ni de chaussures, Foma ! Tu ne t’en iras pas ou bien je te suivrai jusqu’au bout du monde jusqu’à ce que tu m’aies pardonné. Je jure, Foma, que je le ferai !

— Vous pardonner ? Vous êtes donc coupable ? dit Foma. Mais comprenez-vous votre faute ? Comprenez-vous que vous étiez déjà coupable de m’avoir donné votre pain ? Comprenez-vous que, de ce moment, vous avez empoisonné toutes les bouchées que j’ai pu manger chez vous ? Vous venez de me reprocher chacune de ces bouchées ; vous venez de me faire sentir que j’ai vécu dans votre maison en esclave, en laquais, que j’étais au-dessous des semelles de vos chaussures vernies ! Moi qui, dans la candeur de mon âme, me figurais être là comme votre ami, comme votre frère ! N’est-ce pas vous, vous-même qui m’aviez fait croire à cette fraternité ? Ainsi, vous tissiez dans l’ombre cette toile où je me suis laissé prendre comme un sot ? Vous creusiez ténébreu-