Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/239

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plaît pourvu qu’il ne fasse pas de bêtises ! C’est un père qui te parle, Grigori. Quand Foma eut connaissance de ces poésies, il le prit pour lecteur et pour copiste ; en un mot, il lui a donné de l’instruction et Grigori ne ment pas en l’appelant son bienfaiteur. Mais cela fit germer dans son cerveau et le romantisme et l’esprit d’indépendance ; Foma m’a expliqué tout cela, mais je l’ai déjà oublié. J’avoue même que, sans l’intervention de Foma, j’allais l’affranchir. J’en suis honteux, vois-tu… Mais Foma est opposé à ce projet parce qu’il a besoin de ce serviteur et qu’il l’aime ; il m’a aussi fait remarquer que « c’est un honneur pour moi d’avoir des poètes parmi mes gens et que jadis, il en était ainsi chez certains barons, dans les époques de vraie grandeur ». Bon ! va pour la vraie grandeur. Je commence à l’estimer, comprends-tu, mon ami ? Mais ce qui est mauvais, c’est qu’il devient fier et ne veut plus adresser la parole aux domestiques. Ne te froisse pas, Grigori, je te parle en père. Il devait épouser Matriona, une jeune fille honnête, travailleuse et gaie. À présent, il n’en veut plus, qu’il se soit fait une très haute idée de lui-même, ou qu’il ait résolu de conquérir la célébrité avant de chercher femme ailleurs…