Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/26

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commencé par convaincre le pauvre homme qu’il était grossier, brutal, ignorant et d’un égoïsme révoltant, et il importe de remarquer que la vieille folle parlait sincèrement.

Foma était sincère, lui aussi. Puis, on avait ancré dans l’esprit de mon oncle cette conviction que Foma lui avait été envoyé par le ciel pour le salut de son âme et pour la répression de ses abominables vices ; car n’était-il pas un orgueilleux, toujours à se vanter de sa fortune et capable de reprocher à Foma le morceau de pain qu’il lui donnait ? Mon pauvre oncle avait fini par contempler douloureusement l’abîme de sa déchéance, il voulait s’arracher les cheveux, demander pardon…

— C’est ma faute ! disait-il à ses interlocuteurs, c’est ma faute ! On doit se montrer délicat envers celui auquel on rend service… Que dis-je ? Quel service ? je dis des sottises ; ce n’est pas moi qui lui rends service ; c’est lui, au contraire qui m’oblige en consentant à me tenir compagnie. Et voilà que je lui ai reproché ce morceau de pain !… C’est-à-dire, je ne lui ai rien reproché, mais j’ai certainement dû laisser échapper quelques paroles imprudentes comme cela m’arrive souvent… C’est un homme qui a souffert, qui a accompli des exploits, qui a soigné pendant dix ans son ami