Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/284

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homme dont elle rencontrait le regard était amoureux d’elle ; le premier passant venu se voyait promu espagnol et, si quelqu’un mourait, c’était d’amour pour elle.

Cela se confirmait à ses yeux de ce que des Obnoskine, des Mizintchikov et tant d’autres se mirent à la courtiser, et tous dans le même but. On l’entourait de petits soins ; on s’efforçait de lui plaire, de la flatter. La pauvre Tatiana ne voulut même pas soupçonner que toutes ces manœuvres n’avaient pas d’autre objectif que son argent, convaincue que, par ordre supérieur, les hommes, corrigés, étaient devenus gais, aimables, charmants et bons. Il ne paraissait pas encore, mais, sans nul doute, il allait bientôt paraître et la vie était fort supportable, si attrayante, si pleine d’amusements et de délices que l’on pouvait bien patienter.

Elle mangeait des bonbons, cueillait des fleurs, recherchait les plaisirs et lisait des romans. Mais la lecture surexcitait son imagination et elle abandonnait le livre dès la seconde page, s’envolant dans ses rêveries à la plus légère allusion amoureuse, à la description d’une toilette, d’une localité, d’une pièce. Sans cesse elle faisait venir de nouvelles parures, des dentelles, des chapeaux,