Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/304

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Un nuage montait qui noircissait tout un coin de ciel. Nous étions arrivés à la terrasse.

— Eh bien, que pensez-vous d’Obnoskine, hein ? continuai-je, ne pouvant me retenir de questionner Mizintchikov sur cette aventure.

— Ne m’en parlez pas ! Ne me parlez plus de ce misérable ! cria-t-il en s’arrêtant subitement, rouge de colère. Il frappa du pied. — Imbécile ! Imbécile ! Gâter une affaire aussi bonne, une pensée si lumineuse ! Écoutez : je ne suis qu’un âne de n’avoir pas surveillé ses manigances ; je l’avoue franchement et peut-être désiriez-vous cet aveu ? Mais, je vous le jure, s’il avait su jouer son jeu, je lui aurais sans doute pardonné. Le sot ! le sot ! Comment peut-on souffrir des êtres pareils dans une société ! Il faudrait les exiler en Sibérie ! les mettre aux travaux forcés !… Mais ils n’auront pas le dernier mot ! J’ai encore un moyen à ma disposition et nous verrons bien qui l’emportera. J’ai conçu quelque chose de nouveau… Convenez qu’il serait absurde de renoncer à une idée parce qu’un imbécile vous l’a volée et n’a pas su l’employer. Ce serait trop injuste. Et puis cette Tatiana est faite pour se marier ; c’est sa destinée et si on ne l’a pas encore enfermée dans une maison de santé,