Aller au contenu

Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/103

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

encore la force de lever les deux bras vers sa tête. Dans l’une de ses mains elle tenait toujours le « gage ». Alors Raskolnikoff, dont le bras avait retrouvé toute sa vigueur, asséna deux nouveaux coups de hache sur le sinciput de l’usurière. Le sang jaillit à flots, et le corps s’abattit lourdement par terre. Au moment de la chute, le jeune homme s’était reculé ; sitôt qu’il eut vu la vieille gisant sur le plancher, il se pencha vers son visage ; elle était morte. Les yeux grands ouverts semblaient vouloir sortir de leurs orbites, les convulsions de l’agonie avaient donné à toute la figure une expression grimaçante.

Le meurtrier déposa la hache sur le parquet et, séance tenante, se mit en devoir de fouiller le cadavre, en prenant les précautions les plus méticuleuses pour éviter les taches de sang ; il se souvenait d’avoir vu, la dernière fois, Aléna Ivanovna chercher ses clefs dans la poche droite de sa robe. Il avait la pleine possession de son intelligence ; il n’éprouvait ni étourdissements, ni vertiges, mais ses mains continuaient à trembler. Plus tard, il se rappela qu’il avait été très-prudent, très-attentif, qu’il avait appliqué tous ses soins à ne pas se salir… Les clefs ne furent pas longues à trouver ; comme l’autre jour, elles étaient toutes réunies ensemble par un anneau d’acier.

Après s’en être emparé, Raskolnikoff passa aussitôt dans la chambre à coucher. Cette pièce était fort petite ; on y voyait d’un côté une grande vitrine remplie d’images pieuses, de l’autre un grand lit très-propre avec une courte-pointe en soie doublée d’ouate et faite de pièces rapportées. Au troisième panneau était adossée une commode. Chose étrange : à peine le jeune homme eut-il entrepris d’ouvrir ce meuble, à peine eut-il commencé à se servir des clefs, qu’une sorte de frisson parcourut tout son corps. L’idée lui revint tout à coup de renoncer à sa besogne et de s’en aller, mais cette velléité ne dura qu’un instant : il était trop tard pour s’en aller.