Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/131

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

officier était ainsi lancé, il n’y avait pas moyen de l’arrêter.

Quant à la belle dame, l’orage déchaîné sur sa tête l’avait d’abord fait trembler ; mais, chose étrange, à mesure qu’elle s’entendait invectiver davantage, son visage prenait une expression plus aimable, et elle mettait plus de séduction dans les sourires qu’elle ne cessait d’adresser au terrible lieutenant. À chaque instant elle faisait des révérences et attendait impatiemment qu’on lui permit de placer un mot.

— Il n’y a eu chez moi ni tapage, ni rixe, monsieur le capitaine, se hâta-t-elle de dire dès qu’elle eut enfin trouvé l’occasion de parler (elle s’exprimait en russe sans hésitation, bien qu’avec un accent allemand très-prononcé), il ne s’est produit aucun scandale. Cet homme est arrivé ivre, et il a demandé trois bouteilles ; ensuite il s’est mis à jouer du piano avec son pied, ce qui est assez déplacé dans une maison convenable, et il a cassé les cordes du piano. Je lui ai fait observer qu’on ne se conduisait pas ainsi ; là-dessus, il a saisi une bouteille et a commencé à en frapper tout le monde. Aussitôt j’appelle Karl, le dvornik : il frappe Karl sur les yeux ; il en fait autant à Henriette, et il m’applique cinq coups sur la joue. C’est ignoble de se comporter de la sorte dans une maison convenable, monsieur le capitaine.

J’appelle au secours ; il ouvre la fenêtre, qui donne sur le canal, et pousse des cris comme un petit cochon. N’est-ce pas honteux ? Comment peut-on aller se mettre à la croisée pour crier comme un petit cochon ? Foui-foui-foui ! Karl, en le tirant par derrière pour lui faire quitter la fenêtre, lui a, il est vrai, arraché une des basques de son habit. Alors il a réclamé quinze roubles en réparation du dommage causé à son vêtement. Et je lui ai payé de ma poche cinq roubles pour cette basque, monsieur le capitaine. C’est ce visiteur mal élevé, monsieur le capitaine, qui a fait tout le scandale !

— Allons, allons, assez ! Je t’ai déjà dit, je t’ai répété…